mercredi 20 août 2008
jeudi 14 août 2008
AVIS DE RECHERCHE.


Illustration :
TÊTE D’ADOLESCENT, pierre noire avec rehauts de blanc, H. 0,287 ; L. 0,242 mm, dessin collé en plein, annotation sur un ancien montage en bas à gauche : michel angelo da Caravaggio.
Tous les deux mois, il y a quelqu’un qui prétend avoir un Caravage chez lui.
Les cheveux en coup de vent, l’arrogance d’un regard levé vers le ciel comme pour défier le monde ou je ne sais quelle autorité, une oreille en pavillon qui s’exhibe, la bouche goguenarde et comme prête à mordre avec les dents du haut, un sourire proche de la grimace, la lèvre épaisse et gourmande, le cou rentré dans les épaules. Quoi d’autre ?
Regardons ce portrait comme s’il venait d’être dessiné et appartenait à notre époque. Le garçon a-t-il 15 ans, 16 ans ou plus ? Difficile à dire… Tout désigne le voyou des rues dans ce dessin à la pierre noire simplement annoté à gauche sous la bande mi-grise mi-bleue du montage : michel angelo da caravaggio.
Est-il possible, sans ridicule, d’en attribuer la paternité à l’un des peintres majeurs de l’histoire de la peinture italienne : Michelangelo Merisi (1571-1610)? Je m’en garderai bien, sachant toute la problématique d’une telle attribution. Est-il véritablement de la main de Caravage comme l’annotation laisse le supposer ? Est-ce le dessin unique d’un peintre qui ne dessinait jamais ?
Toutes ces questions appelaient des réponses. Je n’osais croire qu’elles étaient indifférentes à tout le monde, sauf à moi. Qui pourrait au moins contester un mérite à ce jeune garçon provocateur, celui de réveiller un débat dont je ne pouvais mesurer à première vue la singulière actualité ?
Avis de recherche ? Oui, car c’est bien tout le propos de mon travail sur Caravage depuis douze ans.
En dépit de multiples indices et de mon enthousiasme, je n’ai acquis encore aucune certitude profonde, en dépit des surprises accumulées au fil des années et même d’une récente et troublante découverte. Je me console en relisant Le Caravage de Roberto Longhi (1870-1990), ce fascinant et érudit personnage, autant historien d’art qu’écrivain. A juste titre, il appelait Caravage « le Seigneur des ténèbres ». Je crois reconnaître dans son texte, sinon mon dessin, du moins le portrait de mon adolescent hirsute : « On doit se demander, écrivait-il, pourquoi le Caravage représente presque uniquement des adolescents… « Nécessiteux » comme il était et incapable de s’offrir les modèles désirés, il n’est pas surprenant qu’il ait eu recours, sans les payer, aux jeunes amis de son âge, fils de tailleurs de pierre lombards ou de logeurs romains, garçons d’auberge ou des rues… » Voyou des rues lui-même, « Caravage, écrit encore Longhi, jouait parfois de la guitare dans les ruelles de Rome proches du Campo Mararo. »
« Celui qui se perd dans sa passion perd
« MAIS C’EST TRES BIEN, ZUCCARO ! »
Je suis ce qu’on peut appeler un amateur de dessins anciens. Je tiens à cette désignation, me souvenant de ma première visite au Cabinet des Dessins du Louvre où je me présentais comme un collectionneur : « Non, il ne faut pas dire ça, me réprimanda vertement Roseline Bacou, conservateur en chef de l’époque, vous êtes un amateur », voulant dire probablement que c’était l’amour des dessins qui me guidait, non leur accumulation. Il reste que le mot amateur n’a pas toujours un sens aussi gratifiant. Mais je ne pense pas que Roseline Bacou voulait me taxer d’amateurisme, même si je ne représentais pas grand-chose pour elle, qui m’avait malgré tout invité à lui rendre visite. Je me sentais humble, sûr de mon ignorance, j’étais forcément très candide devant cette grande érudite. Je retiens surtout sa gentillesse. Elle avait bien voulu me recevoir à la suite d’une photocopie d’un dessin de Domenichino que je lui avais adressé : un portrait d’une jeune femme sur papier bleu qu’elle trouvait très beau et dont elle voulu garder une reproduction.
Alors, amateur, soit, dans tous les sens du terme. Mon aventure personnelle, jalonnée d’allers et de retours, de surprises de rebondissements, d’erreurs, de déconvenues parfois, de plaisir surtout, a commencé à partir d’un dessin du Guerchin, Giovanni Francesco Barbieri dit Il Guercino (1591-1666). Représentant un profil saisissant d’un bel homme barbu, le dessin avait échoué à mon domicile, grâce à la libéralité d’une vieille tante fortunée (elle habitait près de l’Avenue Foch et on l’appelait affectueusement « tante Rockefeller »).
A cette époque, j’étais plus intéressé par la peinture contemporaine de mon adolescence (Max Ernst, Jean Dubuffet, Martial Raysse) que par la peinture religieuse ou mythologique de l’Italie du Seicento. Etudiant à Henri IV, puis à la Sorbonne, je m’attardais dans les galeries de la rue Mazarine, de la rue Jacob et de la rue de Seine. Assez désargenté, je n’achetais rien évidemment, mais j’étais déjà, et depuis l’enfance, très curieux de tout. L’insolite surtout me fascinait. L’incongru était sans prix pour moi.
Mon écrivain préféré était alors Alexandre Vialatte, grand admirateur pour sa part de Jean Dubuffet. Je rêvais, moi aussi, comme au XVIIe et XVIIIe, ou plutôt, comme Freud et André Breton, d’avoir un Cabinet des Curiosités, un
palais de l’étrange rassemblant en vrac sous vitrine ou sur un meuble un butin disparate alimenté au fur et à mesure des années qui passaient.
Tout cela s’enchevêtrait comme le fameux Inventaire de Prévert : anneau équinoxial… fixés sous verre… éventails…
peintures sur cuivre… tabatières… miniatures sur ivoire… reliquaires… statuettes de l’antiquité romaine… masques africains… art océanien… icônes de la Vieille Russie… daguerréotypes… instruments de musique… coquillages… autographes de célébrités.. reliures rares… Et j’en passe, mais sans raton-laveur comme chez Prévert !
Aujourd’hui, c’est précisément chez Freud que je trouve une justification à l’aspect déraisonnable de ma quête. En 1937, Freud écrivait à son ami Stefan Zweig : « J’ai fait beaucoup de sacrifices pour ma collection d’objets grecs, romains et égyptiens, et j’ai lu en vérité plus d’ouvrages d’archéologie que de psychologie.
Mais si, sans vraiment en prendre conscience, je m’orientais déjà vers la constitution d’un Cabinet des Curiosités, je ne pensais pas encore à Caravage. Je n’avais d’ailleurs qu’une vue restreinte sur ce peintre au destin tumultueux. Comme tout le monde, je liais sa figure à celle du cinéaste Pasolini, parent par le tragique d’une destinée. J’avaisSeulement laissé s’introduire dans ma collection, comme le ver dans un fruit, un dessin du Guerchin, cadet de Caravage de dix-neuf années et quelque peu influencé par lui : singulier ascendant de l’aîné sur le second dans la voie de la réalité. Mais si je parle de Guerchin ici, c’est moins pour ses rapports avec Caravage que pour éclairer le cheminement d’une passion. La mienne.
Je procédais donc par des détours sans vraiment les provoquer. Si je parle un peu longuement du Guerchin, Giovani Francesco dit Il Guercino (Le loucheur), s’est qu’il a été le premier à s’imposer à moi dans des recherches qui me ramèneront toujours à Caravage.
On a confronté, non sans intérêt, Caravage à Rembrandt qui est pourtant d’une génération vraiment plus tardive (1571-1610 pour le premier, 1606-1669 pour le second). A mon sens, on pourrait le faire avec davantage
d’intérêt et de justification pour Caravage et Vélasquez
ou Ribera, et même le Guerchin (1591-1666). Aucun de ces grands maîtres, certainement influencés par Caravage, ne peuvent pourtant être considérés comme des suiveurs. Un historien oublié, Charles Blanc, estimait déjà en 1862 que le Guerchin fut « à Bologne ce qu’était à Rome le Caravage ». Pour moi, il est d’ailleurs symptomatique que Sir Denis Mahon, à l’opposé de Roberto Longhi qui ne cite qu’une fois le Guerchin dans son livre Le Caravage, ait porté, lui, un intérêt aussi vif à Caravage qu’au Guerchin. Quand je revois, par exemple, le tableau de Guerchin qui représente Le retour du fils prodigue (version du Kunsthistorische Museum, Vienne), j’ai l’impression de voir un Caravage, en dépit d’une touche qui n’appartient qu’à Guerchin. Et ce tableau date de 1619. Caravage n’aurait eu alors que 48 ans. Il serait possible tout aussi bien de mettre en parallèle les similitudes stylistiques de L’incrédulité de Saint Thomas de Caravage et celle de Guerchin. Dans ses Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes (Paris, 1668-1688), l’historien André Félibien remarquait à propos de Guerchin : « Il est aisé de juger que ce fut la manière du Caravage qu’il préféra à celle du Guide (Guido Reni, 1575-1642) et de l’Albane ( Francesco Albani, 1576-1642) qui lui parurent trop faibles, aimant mieux donner à ses tableaux plus de force et de fierté, et s’approcher davantage de la nature. »
En effet, dans la première partie de sa vie, Guerchin rivalise souvent avec Caravage dans la maîtrise de la peinture et dans la représentation de la violence et de la
cruauté. Témoin : un corpus de dessins d’une force inouïe. Il rivalise, mais ne pourrait apparaître comme un suiveur, comme tant de « Caravagesques » : il semblerait plutôt avoir subi des influences vénitiennes. A noter également que Guerchin comme Caravage a consacré une seconde partie de sa vie, plus longue que celle de Caravage bien entendu, à l’exécution de tableaux d’autel hors gabarit, comme La Circoncision que je vois chaque fois que je me rends au Musée des Beaux Arts de Lyon…
Réalisé à l’encre brune ferrogallique (hélas, très corrosive et susceptible de percer le papier localement), mon dessin de Guerchin avait été placé dans un magnifique cadre en bois sculpté aux larges volutes arborescentes baroques. A noter que le dessin avait été plié sur les quatre bords pour pouvoir prendre place dans le cadre, ce dont je ne me suis rendu compte que plus tard, quand j’eus la curiosité de le décadrer. De toute façon, ce dessin du Guerchin ne déclenchait chez moi alors qu’un enthousiasme mitigé, ne sachant pas encore qu’il allait peu à peu éveiller une passion aussi dévorante que l’encre du dessin avec lequel il avait été réalisé.
Peu à peu, je me suis mis à regarder d’un autre œil le dessin du Guerchin. Comment ne pas être sensible à sa force, à sa spontanéité, à la justesse de ses traits, à son absence de concession ?
Comme beaucoup d’antiquaires, de brocanteurs et d’amateurs plus ou moins éclairés, je me mis à fréquenter presque chaque dimanche matin les marchés aux puces de Lyon. C’était excitant et infiniment pittoresque. Les acheteurs étaient aussi mal rasés que les vendeurs. Dans le petit jour, tout le monde jouait de sa lampe de poche sous les hayons des camionettes, en aidant hypocritement à leur déchargement. J’ai vu ainsi filer quelques chefs-d’œuvre. L’hiver, quand il faisait bien froid, les brocanteurs, pour se réchauffer, brûlaient les meubles qu’ils avaient amenés et y approchaient les mains.
Mais quelquefois, le bonheur au détour d’une travée.
Je découvris ainsi quelques dessins égarés dans des vieilles caisses en bois ou en carton, voisinant avec ferrailles et objets misérables de toutes sortes, avec ce que les brocanteurs qualifient de « drouille ».
Je me souviens ainsi d’un grand hangar à toit métallique ondulé, aujourd’hui disparu, où je repérais dans un fatras de meubles trois petits dessins. Avec le Guerchin, ma « collection » pouvait s’enorgueillir de cinq numéros. Parmi ces dessins, seul l’un d’eux portait au dos une annotation : Dom.co Maria Canuti Il devait donc s’agir du peintre Domenico-Maria Canuti, 1620-1684, l’un des élèves de Guido Reni à Bologne). Le dessin représentait une femme prosternée en traits de sanguine très fins, très démultipliés comme pour noyer dans le flou l’attitude idéale. Les deux autres ne portaient aucune indication, l’un montrait trois femmes à la pierre noire sur papier bleu et le dernier une allégorie de l’été.
Si je rappelle au lecteur ces dessins qui me coûtèrent 10 francs le lot, c’est en raison de leur rôle d’initiateur qu’ils ont joué envers moi en même temps que le profil d’homme du Guerchin. C’était l’Acte 1 d’une démarche qui n’a pas cessé de perdurer et je ne vois pas pourquoi elle
cesserait d’animer ma vie. Mais, évidemment, ce n’est pas le vrai sujet de mon propos.
En une trentaine d’années, j’ai écumé les marchés aux puces, les boutiques de brocanteur, les galeries spécialisées, les salles des ventes. J’achetais, je vendais, j’échangeais. Quel bonheur de chiner ! Je consultais la revue Burlington magazine et la Gazette de l’Hôtel Drouot. Je réunissais une bibliothèque documentaire de plusieurs centaines de livres, français, italiens et anglais. Je passais des heures réjouissantes dans la lecture de Bernard Berenson et de Federico Zeri. J’eus des contacts enrichissants, non seulement avec Roseline Bacou, mais aussi, grâce à elle, avec Sir Denis Mahon, l’éminent spécialiste de Guerchin, Richard Cocke pour Veronese, Pierre Rosenberg pour Poussin, Watteau et Fragonard, Marcel Röthlisberger pour Claude Lorrain…
J’avais porte ouverte et ma place quasi réservée au milieu des panneaux sculptés par Guillaume, sous le plafond peint par Cabanel du Cabinet des Dessins du Louvre (aujourd’hui, Cabinet des Arts Graphiques). Tout l’art du Second Empire se trouvait là, sans que je m’en rende vraiment compte, car il ne pesait en rien sur mes investigations improvisées.
Je feuilletais donc les multiples cartons d’Andrea del Sarto qu’une gracieuse jeune fille, sur ma demande, m’apportait un par un. Je croyais en effet posséder une oeuvre du célèbre florentin, car le dessin portait en bas à droite l’annotation fecit Andrea del Sarto. Il représentait une Sibylle pensive (ou mélancolique, dirais-je aujourd’hui, puisqu’elle se soutenait la tête avec le bras comme tous les grands mélancoliques). Pourquoi ce regard oblique ? Que regardait la Sybille ? En réalité, c’était du côté de Federico Zuccaro qu’il fallait, de mon côté, porter mon attention. Un artiste dont je ne connaissais alors même pas le nom. Aucune chance que ce fût de la main d’Andrea del Sarto : « Mais Pierre Chaigne, c’est très bien, Zuccaro ! » me consolait à voix très audible Roseline Bacou assise dans le silence d’une autre travée comme pour me surveiller de près. Son regard, si je me souviens, était aussi oblique que celui de la Sybille de Federico Zuccaro. Pourquoi, depuis toujours, suis-je aussi fasciné par les regards obliques ?
S’agit-il simplement d’une sorte de détournement de regard qui, loin de vous fuir, vous transperce sans vous laisser la moindre échappatoire ? Je n’ai rien trouvé chez Freud ni en moi-même qui puisse m’apporter une réponse.
Assis au cœur du Cabinet des Dessins du Louvre, c’était émouvant de pouvoir toucher, effleurer, presque caresser les œuvres authentiques elles-mêmes, apprécier le grain du papier, détecter la présence des repentirs. Je pouvais difficilement me résoudre à ce que mon dessin ne fût pas de la main d’Andréa del Sarto. Je ne me rendais pas compte à quel point je pouvais être naïf en même temps qu’incompétent. Lorsque le placide faux-Andrea avait dessiné le portrait que j’avais entre les mains, pour moi cela ne pouvait être que celui de sa femme, la coquette et sans doute infidèle Lucrezia di Baccio. Je rêvais stupidement. C’était so romantic, comme disent les Américaines. Je me demandais s’il y avait un grand soleil sur Florence, éclairant les cheveux fauves de Lucrezia et apportant son éclat au tout neuf dôme de Brunelleschi. Soudain, me tirant de mes spéculations innocentes, Roseline Bacou se levait pour me souffler à l’oreille le nom d’une sommité présente dans la salle. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait de John A. Gere, le grand expert associé notamment à Philip Pouncey pour ses études des dessins du British Museum. J’étais pétrifié, me doutant de l’importance de ces référents.
Dans ce haut-lieu du Dessin, qui aurait pu m’empêcher de voir à discrétion tous les Raphaël, tous les Michel Ange et tous les Léonard de Vinci de la collection du Louvre ? Il n’était pas encore question pour moi de Caravage.
Je reviens à lui. J’ai acheté le dessin dans le demi-jour d’un dimanche matin des années 80. C’est au fond d’une travée en impasse dans un recoin reculé du marché aux puces de la Feyssine à Lyon. Je me souviens que le vendeur a une petite table pliante, mais presque rien à proposer. Le dessin est sous un verre maculé de souillures et qui paraît ancien en raison de son aspect voilé (j’ai gardé le verre en l’état). J’arrache vivement le sous-verre des mains du vendeur. En dépit de la pénombre, je trouve
le dessin agressif, mais remarquable. Le jeune garçon qu’il représente m’interpelle fortement. Je perçois bien évidemment sans peine l’annotation faisant référence à Michel Angelo Merisi dit « Le Caravage ». Non sans regret bien sûr, je ne prête la moindre crédibilité à cette référence, sachant que Caravage est un peintre qui ne dessinait pas. Un point, c’est tout, du moins c’était l’opinion commune, la pensée officielle. Mais le dessin est magnifique dans la violence qu’il exprime comme dans la rudesse de la pierre noire. Il ne ressemble à aucun autre. Cela me suffisait. Bernard Berenson disait que le cadre est la récompense d’un tableau. J’encadre donc le dessin qui prend place, parmi une trentaine d’autres, sur un « mur d’images » de mon cabinet de curiosités. Même provisoire, c’est une rélégation, au bénéfice du dessin de Guerchin et de quelques autres.
Sur la recommandation de Roseline Bacou, j’envoie à Sir Denis Mahon une photocopie de mon dessin du Guerchin, tout en présumant qu’il était autographe, compte tenu de son traité comme de sa provenance. Sir Denis Mahon confirma sans difficulté l’attribution. J’écris également à Richard Cocke pour un dessin attribué à Véronèse qui trouva plus convaincante de le classer parmi les oeuvres de l’atelier du peintre vénitien, de sa bottega.
En matière d’histoire de l’art, j’allais prendre l’habitude de m’adresser directement aux critiques d’art reconnus. La plupart m’ont répondu rapidement et avec une grande courtoisie. Je dois dire que c’était émouvant de recevoir de Sir Denis Mahon, toujours rédigées de sa main, des billets improvisées, des petites cartes rapidement griffonnées, mais toujours très précises, et une fois une longue lettre : « Dear Monsieur Chaigne… ». J’étais plein d’admiration pour cette homme si érudit, si proche de son interlocuteur inconnu. J’aurais voulu être son confident et son ombre comme Eckerman avec Goethe. Je m’identifiais modestement à lui, en me souvenant d’avoir lu de sa main le récit de l’achat de son premier Guerchin à Paris. C’était un tout jeune homme qui, loin d’être infortuné comme je l’étais à son âge, avait le sentiment de commettre une folie. Douce folie…
Je voudrais m’attarder sur une nouvelle mise en situation du Caravage. Federico Zeri, J’avoue m’être trompé, 1995.
NE SOUS X.
Je pensais confusément qu’un jour ou l’autre, je saisirais l’opportunité de revenir à Caravage. J’attendais un déclic. Le dessin était là sous mes yeux, avec son attribution ancienne manuscrite à l’encre brune. Je le voyais quotidiennement. Ce jeune voyou, dont la paternité avait pu être attribué à Caravage, me regardait d’un air narquois, comme si c’était moi qu’il défiait, comme s’il voulait en découdre avec moi. Je sentais avec force que le dessin n’avait pas dit son dernier mot.
Sous l’égide du Louvre, un ouvrage parut en 1996 sous le titre La collection de dessins d’Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville. Il faisait le point sur les attributions parfois pertinentes, souvent contestées, émises par ce grand amateur du XVIIIe siècle, collaborateur de L’Encyclopédie et connu pour ses écrits d’histoires de l’art. L’ouvrage opposait, dessin par dessin, les attributions proposées par Dezallier d’Argenville avec les attributions actuelles.
Me tenant jusque là, comme je l’ai dit, à ce qui était couramment admis par les spécialistes, ma stupéfaction fut immense de trouver dans cet ouvrage le nom de Caravage, avec documentation et reproductions de dessins à l’appui, avec la mention attribution actuelle !
Je remarquais un dessin à la pierre noire, rehauts de blanc sur papier bleu, titré La Madonne de Lorette, en
rapport avec le tableau d’autel du Caravage se trouvant dans la première chapelle à gauche en entrant dans l’église Sant’Agostino à Rome. Je ne retrouvais pas dans ce dessin, pourtant attribué à Caravage dans le catalogue, la violence que j’attendais de l’artiste. En revanche, il y avait à la page suivante une Tête de rieur, gravure à partir d’un dessin de Caravage par Dezallier d’Argenville lui-même, qui me semblait de la même veine que mon dessin : même tête échevelée, même bouche grimaçante…
On était en 1996. L’avis des tenants de l’orthodoxie avait-il évolué ? Par quelle subite révélation ? Quelles nouvelles découvertes avaient permis cette révision des opinions, s’il y avait révisions ? Que me restait-il à faire ? Pouvais-je en rester là ? Je regardais mon dessin d’un nouvel œil : le jeune voyou m’adressait subitement un sourire complice.
Voici ce qu’écrivait, dans sa note sur Caravage, le magistrat et grand commis de l’Etat Dezallier d’Argenville (1680-1765) :
« Les desseins (sic) du Caravage sont rares, & heurtés d’une grande manière qui rend la couleur ; plusieurs sont faits au pinceau, relevés de blanc sur du papier teinté ; d’autres sont arrêtés par un trait de plume lavés au bistre, ou à l’encre de la Chine, rehaussés de blanc au pinceau ; d’autres enfin, sont dessinés à la pierre noire
avec des ombres estompées, relevés de blanc de craie, quelque fois mêlés d’un peu de sanguine dans les têtes & d’autres extrêmités. On le reconnoit à son goût bizarre, à ses têtes communes , à ses draperies sèches, ses contours irréguliers, & ses figures trop courtes, prises sans choix, suivant les défauts du nature ».
Effectivement. Stendhal ne dira pas autre chose en 1829 dans ses Promenades dans Rome : « Par horreur pour l’idéal bête, le Caravage ne corrigeait aucun des modèles qu’il arrêtait dans la rue. » Comment ne pas imaginer Caravage, peintre désargenté, cherchant à bon compte des jeunes compagnons à travers la chaleur moite des ruelles de la Rome baroque ?
Enfin, quel rapport le dessin pouvait-il avoir avec Dezallier d’Argenville ? Je me suis demandé un moment si le montage, entouré d’une bande gris-bleu , n’avait pas été réalisé par le collectionneur lui-même et si l’écriture de l’annotation michel angelo da caravaggio figurant au-dessous de la bande grise n’authentifiait pas son écriture. En effet, la bande gris-bleu était assez voisine des bandes collées autour des dessins de la collection. En général elles étaient d’une autre couleur, mais je croyais retrouver l’écriture de l’annotation de mon dessin dans d’autres dessins du catalogue. En fait, tout cela, bien sûr, me semblait pas suffisamment décisif.
Le 10 juin 1996, j’adressais une lettre à Françoise Viatte, Conservateur général chargé des Arts Graphiques du Musée du Louvre pour lui faire part de mes interrogations sur mon dessin à la suite de la publication du catalogue des dessins de Dezallier d’Argenville. J’évoquais aussi la possibilité d’une attribution au peintre gênois Bernardo Strozzi (1581-1644), qui me semblait plausible en raison de la vigueur du trait qui caractérisait les dessins que j’avais pu voir. Françoise Viatte me fit cette réponse le 20 juin suivant :
« Je peux vous dire que l’on continue à n’attribuer aucun dessin à Caravage, et je ne pense pas que l’on puisse retenir l’idée d’une attribution à Bernardo Strozzi. D’autre part, la comparaison avec La tête de rieur gravée par Dezallier d’Argenville ne me paraît pas convaincante (cf. p. 188 de l’ouvrage de Mesdames Bicart-See et Labbé). Il faut remarquer que l’attribution de ce dessin, non retrouvé, à Caravage, est due à Dezallier d’Argenville lui-même. Je regrette de ne pouvoir être plus positive, et espère que vous pourrez tout de même poursuivre vos recherches. »
Poursuivre mes recherches ? L’encouragement était mince, disons plutôt modéré. Assez dépité par le contenu de cette lettre, pourtant bienveillante, j’attendis trois années pour le faire. J’étais encore loin du « cent fois sur le métier… » Par la force des choses, je me hâtais donc lentement, mais sans perdre courage !
Toute recherche oblige. André Gide, Les Faux-monnayeurs, 1925.
LE VIRUS DE BACCHUS.
1999. Encadré, l’adolescent du dessin se trouvait presque quotidiennement dans mon champ de vision. Chaque fois que je passais devant ce que j’appelais mon « mur d’images », c’était comme s’il cherchait à m’interpeller, à me juger totalement inopérant dans mes recherches. C’était un doux et tenace harcèlement auquel je ne pouvais longtemps rester insensible. De guerre lasse, peut-être aussi plein d’espoir, ou simplement pour en avoir le cœur net, je me décidais à prendre contact directement avec Mesdames Jacqueline Labbé et Lise Bicart-See, co-auteurs du catalogue Dezallier d’Argenville.
Je ne me souviens pas très bien pourquoi j’avais choisi d’écrire à Lise Bicart-See plutôt qu’à Jacqueline Labbé. Tout probablement, parce que son numéro de téléphone et son adresse, étaient accessibles dans les pages blanches de l’annuaire.
Ainsi, le 3 octobre 1999, j’écrivis une lettre qui n’occultait rien de mes précédentes démarches, et particulièrement de la position peu encourageante de Madame Françoise Viatte. J’envoyai une photocopie de mon dessin avec toutes les indications techniques. Je précisai, mais je n’en ai jamais fait état depuis, que le dessin était collé en plein : par transparence, on devinait un autre dessin à la sanguine (portrait ?) et un plus petit, à peine distinct, à la pierre noire (profil d’un personnage debout ?).
Je me cite :
« Est-il permis de supposer que certains croquis aient pu être réalisés par Caravage au cours de sa vie, notamment lors de son bref séjour dans l’atelier du Cavalier d’Arpin ?… Je ne sais pas quelle est aujourd’hui la position des spécialistes du peintre comme Mia Cinotti ou Mina Gregori. Pensez-vous vous-même qu’un jour des dessins du Caravage puisse sortir de l’ombre ? En ce qui concerne mon dessin, s’il ne saurait lui être attribué, qui pourrait en être l’auteur ?…
Moins d’une semaine plus tard, le 10 octobre, Lise Bicart-See me répondait :
« Monsieur,
J’ai bien reçu la photocopie de votre dessin. Fixé sur son
montage ancien, il semble très intéressant. Le visage souriant de ce jeune garçon est proche de certains visages que l’on retrouve dans les peintures du Caravage. Malheureusement, je n’ai pas pu faire de réel rapprochement avec une œuvre peinte. Dezallier dont l’Abrégé fait encore autorité a rencontré des dessins du Caravage, en a possédé, en a même gravé. Si au cours de recherches futures, certains éléments peuvent aider à confirmer une attribution, je vous en ferai part. L’écriture qui figure en bas à gauche pourrait être un élément aidant. Recevez, Monsieur,… »
Je dois dire que cette lettre m’a donné un coup de fouet, surtout la phrase : « le visage souriant de ce jeune garçon est proche de certains visages que l’on retrouve dans les peintures de Caravage ». Je trouvais enfin une personne du sérail des historiens de l’art qui ne trouvait pas totalement déraisonnable ma démarche.
Déraisonnable ? Il m’a fallu plusieurs années pour que j’en prenne conscience. J’entrais alors dans une fébrilité qui depuis ne m’a jamais vraiment quitté. Cette frénésie insensée m’a conduit à me procurer tout ce qui avait paru sur Caravage pour vérifier à mon tour que le jeune voyou ne se retrouvait pas dans l’une des œuvres du peintre. J’ai lu presque tout ce qui avait été écrit le concernant, pas seulement en français, mais aussi en italien, en anglais, en espagnol, depuis les petits livres de vulgarisation et les
textes romancés jusqu’aux comptes rendus d’exposition et aux études les plus savantes. A Rome, avec une amie américaine et son mari, ambassadeur italien, je voyais les Caravage de la Galerie Borghese, ceux de Santa Maria del Popolo et de la collection Giustiani. Carey Cameron, mon amie américaine, m’offrit dans la boutique du musée une Swatch représentant le Bacchus malade : durant des années à toutes les heures de la journée, elle me rappela le temps qui passe et mes recherches en attente pour un dessin qui n’était peut-être même pas de Caravage. C’est moi qui avais pris le virus foudroyant de Bacchus. J’ai parcouru des milliers de pages rédigées par des sommités de l’histoire de l’art, de Roberto Longhi à Mina Gregori. A Naples, je ne pouvais échapper aux Caravage de la Pinacothèque de Capodimonte et c’est dans un joyeux brouhaha, au milieu de jeunes écoliers italiens agglutinés autour de moi et de mon épouse, parce que nous leur parlions français, abandonnant ainsi leur enseignante auprès d’un sacristain, que j’ai pu admirer Les Œuvres de la miséricorde dans l’église Pio Monte della Misericordia…
En consultant une grande partie de la littérature consacrée à Caravage, j’ai répertorié 35 jeunes garçons (en y assimilant les anges comme il se devait). Ils ont tous en commun la séduction souvent ambiguë des enfants des rues. Que l’on regarde le jeune homme du David et Goliath, les quatre jeunes protagonistes du Concert, le Garçon à la corbeille de fruits, le Narcisse, le Joueur de luth, l’Amour vainqueur, l’ensemble des Jean-Baptiste, l’ange et le garçon prêt à être saigné du Sacrifice d’Isaac, on devinait dans cette jeunesse celle que côtoyait Caravage quand il arpentait le soir les rues de Rome. C’était un monde sans attache, un monde d’errance qui l’accompagna toute sa vie. Ces garçons ont certainement
été « saisis sur le vif », suivant la formule. La plupart, même les plus vulgaires, sont d’une beauté et d’un réalisme qui n’appartient qu’à Caravage. On imagine dans quelles ruelles à relents d’égout (à relents du cloaca maxima de Jules Cesar, pourrait-on dire !) où le peintre allait souvent chercher son inspiration et ses modèles pour les attirer dans son atelier. Univers quelque peu glauque : suivant une anecdote, Caravage n’avait pas trouvé mieux que de prendre le corps d’une prostituée qui s’était noyée dans le Tibre pour figurer le cadavre de la Vierge dans le tableau du Louvre. Une Vierge gonflée, trop morte, au grand dam du commanditaire Laerzio Cherubini. Une Vierge rendant moins crédible une future Assomption.
En ce qui concerne les jeunes modèles masculins, beaucoup sont échevelés. Chez aucun je n’ai trouvé le sourire sarcastique, destructeur, ravageur de mon dessin. Un ricanement plutôt qu’un sourire. Il y a bien des grimaces chez Caravage, mais aucun ricanement. Mia Cinotti, dans son livre sur Caravage (Adam Biro, éditeur) fait référence, parmi les œuvres perdues, à une Tête de bouffon riant (113, Florence, Collection des Médicis, N°96). Mon dessin représentait-il ce bouffon ricanant ? Le saurai-je un jour ? Il faudrait avant tout retrouver le tableau. Pour le moment, mon voyou n’était présent ni en premier-plan ni en arrière-plan dans aucune peinture répertoriée de Caravage, ce qui, en soi, est loin d’être déterminant. J’ai appris qu’un dessin trop proche d’une peinture peut avoir été réalisé d’après la peinture, donc pas obligatoirement par le peintre lui-même. A contrario, s’il y a des différences, des repentirs, des superpositions de traits ou une mise à carreaux, cela prouve qu’il s’agit d’une étude préparatoire à une œuvre peinte. Je ne voyais dans mon dessin ni son double en peinture, ni les repentirs d’une étude. De toute façon, dans l’état actuel de mes connaissances et des apports reçus, je ne pouvais évidemment ranger mon dessin dans aucune catégorie.
J’en étais là, cherchant encore, par entêtement ou par illusion, des rapprochements possibles avec les jeunes protagonistes des peintures, quand, soudain, en redressant le tableau Le Sacrifice d’Isaac, je pensais retrouver dans Isaac quelques traits de mon dessin : la bouche ouverte laissait apparaître les dents du haut, l’oreille était dégagée sous une touffe de cheveux, le visage était vu de trois-quarts… Mais c’était un cri d’effroi qui sortait de la bouche d’Isaac, c’était un regard de terreur tourné vers un spectateur lui-même horrifié. Alors, non, oublions Isaac !
Je mettais aussi à contribution Google. La moisson était faible. Grâce au web, je découvrais toutefois qu’il existait un comité de spécialistes hautement exigeants, comme il en existe un, particulièrement intransigeant, pour Rembrandt. Il s’appelait The Caravaggio research commitee (« pionners in Digital Research and Attributions »). Dans la présentation, il était écrit que « the actual autorship of many of the painthings attributed to Caravaggio is highly questionnable ». Diable ! Mon dessin aussi était pour moi plus que questionnable.
Le 9 mars 2000, j’envoyais donc au fameux comité un mail avec pièce jointe, montrant et explicitant mon questionnement.
La réponse se fit peu attendre :
« Pierre, notre travail traite malheureusement que les tableaux et nous ne faisons rien concernant les dessins. Sincèrement. Veritus AG. »
Rien sur les dessins ? Et pour cause !
Comment ne pas dire ou redire ici combien importante pour Caravage l’élusion des dessins préparatoires qui semblaient si indispensables à tous.
André Berne-Joffroy, Le dossier Caravage, 1999.
MESSAGE DU NEW JERSEY, USA.
A ce stade de mes investigations, je me posais la question de savoir s’il y avait des précédents, des peintres qui avaient « résisté à l’acte de dessiner », suivant la formule du célèbre artiste américain, Matthew Barney, adepte du body art, mais qui n’appliquait pas sa formule à lui-même.
Il y avait le cas de Vermeer. Une vue de Delft, crayon aquarellé de brun avec traits de plume et rehauts de blanc, sur papier bleuté, fut considérée quelque temps comme une étude pour le tableau du Mauritshuis. On pense aujourd’hui qu’il s’agit d’un dessin du XVIIIe siècle exécuté d’après le tableau lui-même.
Le cas de Chardin a été également étudié : « Il ne s’aidait d’aucun croquis, d’aucun dessin sur le papier , écrit Mariette, dans son Abecederio . Il poussait son tableau et le travaillait d’après nature, depuis l’esquisse sur la toile jusqu’à l’ultime coup de pinceau ». Esquisse sur la toile, n’est-ce pas tout de même un dessin ? Quoiqu’il en soit, on peut dire que les dessins sur papier déclarés autographes de Chardin se comptent sur les doigts de la main. Mais ils existent. Combien étaient-ils ? On a la preuve aujourd’hui que Chardin dessinait et on sait ce que doivent être ses dessins authentiques : « Un croquis à toute volée, écrit un érudit, une pensée, comme on disait alors, flottante, à peine fixée, la surprise d’un mouvement, l’indication hâtée, et à grands coups, d’une attitude de femme, l’ébauche, en quelques touches de crayon, d’une scène qu’il voulait se rappeler. »: Il faut dire que si ses figurations humaines supposaient quelques croquis préalables, ses nombreuses natures mortes sont des œuvres de chevalet ne nécessitant guère d’études préparatoires.
Ceci venait confirmer mes supputations : je ne voyais vraiment pas comment Caravage aurait pu, lui aussi, se priver de croquis pris sur le vif pour saisir une expression fuyante, une attitude éphémère, un mouvement fugitif.
Durant l’année 2000, un ouvrage imposant, intitulé Caravaggio , exhaustif comme on sait le faire dans les universités américaines, parut chez Phaidon Press à Londres. La première édition datait de 1998, mais avait échappé à mes recherches. L’auteur, Catherine Puglisi, était professeur associé au département d’histoire de l’art de l’Université d’Etat Rutgers du New Jersey et était déjà connue par son catalogue raisonné de l’œuvre du peintre bolonais Francesco Albani.
Catherine Puglisi consacre une longue étude à la technique de Caravage. Dans ce cadre, il me paraissait impossible qu’elle occultât la question des dessins préparatoires. Elle écrit notamment :
« L’idée même que Caravage passait par une phase de conception est relativement récente. De son vivant déjà, on pensait qu’il peignait simplement ce qu’il voyait, sans idée préconçue. Les tableaux eux-mêmes semblaient obéir à ce schéma, puisque les mêmes modèles, parfois revêtus des mêmes vêtements, réapparaissaient dans des scènes différentes, sans rapport entre elles. Tout en retraçant l’attrait des personnages, ces visages devenus familiers obligeaient le spectateur à mettre en suspens sa crédulité : cette rouquine triste était-elle réellement Marie Madeleine ? Ce garçon aux ongles sales était-il réellement Bacchus ? Les rumeurs qui circulaient alors à Rome, mais aussi les propres déclarations de Caravage contribuaient également à alimenter la conviction qu’il transcrivait la réalité sans l’altérer. C’est ainsi qu’en 1600, il était définitivement admis que Caravage peignait directement d’après nature, sans passer par l’étape du dessin. »
Catherine Puglisi développe ensuite l’aspect atypique de Caravage par rapport aux peintres de son époque :
« Pour les contemporains romains de Caravage, une telle approche revenait à peindre sans composition. Or à la fin du XVIe siècle, la pratique de la peinture à l’huile comportait nécessairement une étape préparatoire, durant laquelle le peintre réalisait des esquisses de composition et de personnages avant de poser ses pinceaux sur la toile. Le dessin faisait ainsi partie intégrante du processus de création… Le mépris supposé de Caravage pour cette pratique tient essentiellement au fait qu’il n’existe aucun dessin de sa main, ce qui est effectivement inhabituel chez un peintre italien de cette époque. »
Un peu plus loin dans ma lecture, je découvre une phrase pour moi décisive, car c’est sur elle que je me réferai ensuite dans tous mes contacts :
« Caravaggio, était-il écrit dans le texte original de Catherine Puglisi had certainly been trained in draughtmanship », ce que je pouvais traduire : « Caravage a certainement été entraîné à la pratique du dessin.
En effet, il est difficile pour moi aussi d’admettre que le jeune Caravage, issu d’ateliers comme ceux de Simone Peterzano et de Giuseppe Cesari dit le Cavalier d’Arpin, où la pratique du dessin était certainement un passage obligé, une pratique quotidienne, une nécessité permanente, soit resté rebelle à toute étude préparatoire sur papier. J’ai plutôt tendance à penser comme Catherine Puglisi que Caravage, dans son arrogance, détruisait ses dessins pour laisser croire que son génie lui permettait d’aller directement à la toile, surpassant ainsi même les plus grands, comme Raphaël, Michel-Ange ou Léonard de Vinci !
Sur un point, Catherine Puglisi rejoint l’opinion générale actuelle sur la technique picturale de Caravage. En effet, les analyses radioscopiques des peintures ont montré que, même s’il s’avérait que Caravage, n’avait jamais dessiné sur papier, parce qu’il répugnait aux études préparatoires, il avait tout de même dessiné sur toile en quelque sorte, avec la fameuse technique des incisions, ces traits très libres, très enlevés, faits sans doute à la pointe du pinceau, souvent visibles à l’œil nu et décelables dans la couche sous-jacente de maints tableaux. Ces incisions pouvaient représenter pour Caravage une mise en place sommaire de ses compositions. Un substitut du dessin ou son prolongement ?
Vraiment troublé par cette lecture, j’écris à Catherine Puglisi avec photo à l’appui, en lui faisant part de mes interrogations, sans rien cacher de mes précédentes démarches. Je reçois par mail le 15 novembre 2000 cette réponse que je traduis, j’espère, sans trahir :
« Cher Monsieur Chaigne. Merci pour votre message et votre lettre du 4 septembre. Je prends la liberté de vous répondre par e-mail et en anglais parce que c’est ce qui est le plus facile pour moi. Comme vous l’avez remarqué, je crois vraiment que Caravaggio savait dessiner et a effectivement dessiné.. Toutefois, Françoise Viatte est juste en disant que les experts n’ont pas encore découvert un seul dessin qui peut être attribué avec certitude à Caravaggio. Le peintre peut avoir lui-même détruit ses dessins afin de faire ressortir sa maîtrise de la nature et du modèle vivant dans ses peintures (The painter himself may have destroyed his drawings in order to emphasize declared dependence on nature and the live model for his paintings). Evidemment, nous pouvons encore découvrir un dessin de sa main. Car pour le dessin de votre photographie, il semble comme une belle étude vivante dessinée sur le vif. A mes yeux, la finition du traité à la craie du visage et sa qualité typique suggère une datation plus tardive que l’époque de Caravaggio. Naturellement, un jugement final doit être réservé, car je n’ai pas le dessin sous les yeux. L’inscription n’est pas nécessairement contemporaine du dessin, comme c’est souvent le cas, et reflète davantage l’opinion et le goût plus tardif d’un vendeur ou d’un propriétaire. J’espère que ceci vous est utile. »
Dissimule ta vie. Epicure
DESSIN OU DESSEIN
Encouragé par les indications de Catherine Puglisi, je continuais à mettre le pied au cœur du cénacle des historiens d’art spécialistes de Caravage, comme s’il s’agissait d’une fourmilière. J’espérais ainsi qu’un jour ou l’autre, de cette mini-secousse tellurique, il sortirait des aspects inédits de Caravage susceptibles de conforter mes certitudes, si fragiles fussent-elles.
Je suivais donc les recherches les plus récentes, souvent à la faveur des nombreuses expositions qui avaient lieu en Europe. C’est ainsi que j’ai trouvé le nom de Silvia Danesi Squarzina, professeur au département d’histoire de l’art à l’Università degli Studi di Roma « La Sapienza ». Elle venait de publier un livre Caravaggio e i Giustiniani. Tocar con mano una collezione del seicento (exposition à Rome du 26 janvier au 15 mai 2001). Après avoir découvert son livre, je m’adressais à son auteur, en récapitulant mes recherches et mes contacts depuis Lise Bicart-Sée jusqu’à Catherine Puglisi.
Le 26 juillet 2001, je trouvais cette réponse laconique, mais d’une évidence désarmante. J’en extrais ces lignes : « Le problème est que l’on ne connaît pas la façon de dessiner de Caravaggio. C’est bien difficile d’évaluer l’inscription qui accompagne votre dessin : il ne me semble pas du XVIIe siècle. Si jamais j’arrivais à trouver des éléments concrets, je vous informerais »
En 2003, Dominique Fernandez publiait La Course à l’abîme. Prêtant sa voix à Caravage, il éclaire brillamment l’énigme d’une vie de violence, de frénésie, de démesure et d’excès de toutes espèces, jusqu’au mystère d’une mort relativement jeune sur une plage, comme des siècles plus tard, mourra Pier Paolo Pasolini.
Je pensais qu’il était intéressant de lui faire part de la suggestion, émise par Catherine Puglisi, d’un peintre détruisant tous ses dessins, dans le seul but de donner à penser qu’il surpassait les plus grands peintres : de Raphaël à Michel Ange et Leonard de Vinci. Fernandez admit volontiers cette interprétation dans la lettre qu’il m’écrivit le 14 janvier 2003 , en se jouant de l’homophonie des mots dessin et dessein.
« Je n’avais pas pensé à l’hypothèse que C. eût détruit à dessein ses dessins, pour faire croire à la spontanéité de son génie. Une telle démarche aurait été tout à fait dans la logique de son caractère. »
Détruire à dessein ses dessins. Les deux mots se bousculent. Leur confrontation dans une même formule laisse perplexe, quand on sait que, jusqu’au XVIIIe siècle, ce qui correspondait au mot dessin, représentation graphique, s’écrivait avec un e : dessein. Voir Fragonard. D’où la confusion avec le mot dessein quand il désigne, comme chez Fernandez, une intention, un projet, une ligne directrice, une première pensée. En italien, la confusion est toujours présente, car les deux acceptions cohabitent sans que cela pose problème. On dit disegno a penno, dessin à la plume, mais aussi disegno di un romanzo, le thème d’un roman.
Certes, Michel-Ange a détruit lui aussi une grande partie de ses dessins. Mais certainement pas avec les mêmes motivations que Caravage. On sait à quel point le maître florentin attachait d’importance à l’acte de dessiner. D’ailleurs, environ 600 dessins de Michel-Ange ont échappé à toute autodafé comme aux aléas du temps.
L’esprit est un monde à l’envers. Le clair y procède de l’obscur. Jean Paulhan, Les Fleurs de Tarbes.
NOIRS DESSEINS ET CAMERA OSCURA.
Et puis voilà que David Hockney, le peintre des piscines d’un bleu mer du sud, chausse ses grosses lunettes à propos de peintres du passé, tels que Vélasquez, Van Heyck, Holbein, Vinci et Ingres, sans négliger Caravage.
Dans Savoirs secrets, techniques perdues des grands maîtres, livre au demeurant passionnant, Hockney explique comment ces grands maîtres ne faisaient pas leurs dessins à main libre, mais en ayant recours à des dispositifs optiques, camera obscura et camera lucida entre autres.
La camera oscura (chambre obscure) est une chambre noire munie d’une petite ouverture dans une de ses parois. Les rayons lumineux qui traversent cette ouverture forment sur la paroi opposée une image de ce qui se trouve à l’extérieur : image inversée qui reproduit couleur et mouvement. Au XVIe siècle, des savants italiens constatent qu’une lentille placée dans l’orifice améliore la qualité du report..
La camera lucida (ou chambre claire), est un dispositif optique utilisé comme une aide aux dessins par les artistes et inventé en 1807 par William H. Wollaston. A l’aide d’un prisme, est effectuée une superposition optique du sujet à dessiner et de la surface où doit être reporté le dessin. La perspective est reproduite de façon parfaite, sans aucune construction.
La démonstration de David Hockney, qui parle aussi de projections d’images par miroirs concaves, n’a recueilli qu’un accueil contrasté, bien qu’elle semble très plausible et parfois convaincante.
Bien sûr, Caravage n’a pu connaître la camera lucida, inventée deux siècles après lui. Catherine Puglisi admet tout de même qu’il ait pu se servir d’un miroir convexe lorsqu’il réalisa son Narcisse, sa Conversion de Marie Madeleine et la tête de Méduse. Mais comment peut-on imaginer un seul instant qu’un artiste si spontané, si instinctif, si vif dans l’exécution de ses tableaux, ait été systématiquement tributaire de tels appareillages qui auraient alourdi sa démarche, en blessant sa fierté de peintre son amour-propre de génie créateur, son orgueil sans limites.
Pourtant, une étude récente d’un architecte italien, Antonino Saggio, aujourd’hui professeur d’architecture à la Faculté La Sapienza di Roma, suivant « l’intution géniale de Roberto Longhi,a mis en évidence la possibilté d’un recours de Caravage à la technique de la « camera oscura » et sur le rôle du miroir, miroir que l’on a retrouvé après sa mort dams le maigre inventaire des objets abandonnés dans son atelier à Rome et qui est sans doute l’étrange et gigantesque « miroir convexe en forme de bouclier » présent dans le tableau La Conversion de Madeleine.
Il est vrai que le recours par Caravage à la camera oscura et au miroir avait déjà été longuement évoqué par Roberto Longhi dans son remarquable étude Le Caravage en où il utilise l’expression de magie naturelle : « Ainsi, écrivait-il, en vint-il à découvrir sa « chambre optique » personnelle et empirique – presque une découverte scientifique, et en tout cas une expérience, - ce qui surprend moins à l’époque de Porta et désormais de Galilée… Son respect obstiné envers le vrai a pu d’abord le confirmer dans la conviction ingénue que c’était « l’œil de la chambre noire » qui se substituait à son regard et était la source de toute inspiration. »
Ceci dit, une fois ces hypothèses techniques admises, qu’il s’agisse de se référer à Longhi ou à Hockney, est-ce qu’on peu conclure que Caravage ne dessinait pas ou n’avait jamais dessiné ? Pour ma part, je trouve dérangeant que le génie d’un peintre se réduise à des subterfuges scientifiques, si attrayants fussent-ils. J’ai toujours aimé la formule de Pierre Rosenberg notée dans la revue L’œil et qui est pour moi précisément comme un clin d’œil amusé à David Hockney : Un laboratoire, c’est seulement une meilleure paire de lunettes…
Ne faut-il donc pas en rester à l’image de Caravage « croqueur de rue » ou celle de « voleur de nuit » ?
Sous la signature de Charles Blanc dans l’Histoire des peintres de toutes les écoles (Jules Renouard éditeur, 1862), je lis notamment ces lignes qui me semblent toujours d’actualité : « L’originalité, l’imprévu, la vigueur de ses œuvres ont presque justifié son orgueil. Le cachet magistral du Caravage ne rappelle aucun maître. Les figures qu’il fait jaillir du fond ténébreux de sa toile par de soudaines et violentes illuminations, fondent sur le spectateur étonné comme des voleurs de nuit à la lueur d’un réverbère. Cet étrange artiste, si souvent imité et maintenant si connu, ne devrait plus pouvoir nous surprendre, et néanmoins telle est son énergie, qu’il produit encore sur nous une impression toujours nouvelle, irrésistible. Une peinture de lui, placée au milieu de n’importe quelle galerie de tableaux, insulte, brutalise les toiles environnantes et nous crève les yeux. »
Je ne veux pas nier qu’en de nombreux cas, pour un œil affiné et très exercé, l’impression d’ensemble ou plutôt l’intuition puisse suffire à elle seule à deviner l’auteur d’une œuvre d’art.
MAIS ON N’Y VOIT VRAIMENT PLUS RIEN.
Un nouveau nom d’historien d’art vint fortuitement à ma connaissance grâce à Google. Il s’agit du professeur Giulio Bora, enseignant à l’Università degli Studi de Milan. Je traduis avec excitation un texte I misteri di Caravaggio (Les mystères de Caravage) paru dans Art & Job Magazine N°37, 13 septembre 2004 :
« Il est quand même incontestable que la vicissitude caravagesque soit riche en points d’interrogation. Il paraît incroyable, par exemple, qu’il ne s’y retrouve aucun dessin autographe et aucune œuvre de jeunesse (celle de la prétendue période milanaise). Comme nous trouvons inexplicables les motifs du soudain déplacement de l’artiste de Milan à Naples, déplacement qui n’améliora pas sa position professionnelle… Le 15 mai s’est tenue une importante journée des Etudes d’Histoire de l’Art Roberto Longhi de Florence, centrée sur 3 importantes intervention de Giacomo Berra, Mina Gregori et Giulo Bora, qui tentaient de donner finalement des réponses à quelques-unes des questions caravagesques. Ces 3 interventions sont incluses dans le N°42 de Paragone Arte, publication consacrée à cette journée… Giulio Bora analyse une bonne partie du corpus des dessins de Peterzano, en arrivant à la conclusion qu’il est impensable, en fait, qu’au moins dans les premières années de son activité, Caravage ne se soit consacré à la pratique du dessin, selon une solide tradition du XVIe siècle… »
Pensant à ces « mystères de Caravage », je rédige une petite fiche personnelle, vraiment succincte et sans prétention (que les spécialistes m’accordent leur indulgence), essayant de repérer en amateur les périodes de la vie, au cours desquelles il me semblait inévitable que Caravage fut confronté à la pratique du dessin, malheureusement bien des trous dans sa biographie laissent la porte ouverte à de nombreuses hypothèses :
- Michelangelo Merisi naît le 29 septembre 1571 sans doute à Milan (date précise et lieu non attestés). Le nom qu’il adoptera vient du bourg de Caravaggio, à 45 km de Milan, d’où est originaire sa famille.
- Son père, Fermo Merisi, intendant de Francesco Sforza, est veuf et père d’une petite fille, Lucia Aratori. En secondes noces, il épouse Costanza Colonna, qui, en plus de Michelangelo, lui donnera 2 autres garçons, Giovanni Battista en 1572, et Giovan Petro (date inconnue).
- 1576, peste à Milan : la famille se réfugie à Caravaggio. Michelangelo a 5 ans.
- 1577, mort de son père, en même temps que son grand-père et un oncle. Michelangelo a 6 ans.
- De 1576 à 1584, Michelangelo est écolier à Caravaggio.
- De 1584 à 1588, de retour à Milan, il est en apprentissage dans l’atelier du peintre Simone Peterzano : 4 années où il apprend « les bases du dessin, de la fresque et de la peinture à l’huile » (Catherine Puglisi, Caravaggio, p. 23). Il est bien question ici des « bases du dessin ». Michelangelo a de 13 a 17 ans. Par ailleurs, je suis assez troublé d’avoir découvert qu’on attribue à Peterzano des dessins qui reproduisent des détails des peintures de Caravage. Comme si l’élève était devenu le maître du maître
- 1589, il est de retour à Caravaggio. On pense qu’il s’est rendu à Venise, où il a pu découvrir les œuvres de Giorgione et peut-être admirer particulièrement celles de Tintoret. En réalité, tout reste du domaine des hypothèses, mais ce qui est étrange, c’est qu’avant 1592 (Caravage a alors 21 ans) on ne possède aucune œuvre de lui. Chose d’autant plus étrange quand on voit par la suite la qualité de ses premières peintures.
- 1590, mort de sa mère et de son maître Simone Peterzano. Michelangelo a 18 ans.
- Fin 1592 ou début 1593. Arrivée à Rome « sans feu ni lieu ». Caravage vit d’expédients. Il est dans l’atelier du peintre Julio Lorenzo où, dit-on, il peint en série trois têtes par jour : si cela était vrai, quel défilé de têtes en peu de semaines !
- 1593-1596. Après un passage par l’atelier du peintre Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d’Arpin, connu par la qualité de ses dessins, Caravage peint ses premières œuvres (dates encore imprécises). Dénominateur commun : les éphèbes. Citons : Jeune garçon pelant un fruit, Jeune garçon portant une corbeille de fruits, Jeune garçon mordu par un lézard… Dans cette période s’insère sans doute l’ Autoportrait en Bacchus. En 1596, Caravage a seulement 25 ans.
- Suivront, au tout début du Seicento, les grands sujets religieux, grâce à la protection toute particulière du cardinal del Monte.
- Depuis son arrivée à Rome, on peut suivre avec assez de précision toutes les étapes d’une vie tumultueuse : démêlés avec la police, accusation de meurtre, internement, fuite, séjours à Naples, à Malte, puis à Syracuse et Messine, retour à Naples. Une œuvre qui se poursuit sans relâche.
- 1610. En tentant de regagner Rome où il vient d’obtenir sa grâce, Caravage meurt dans des conditions non élucidées sur une plage à Porto Ercole près d’Ortobello où il sera enseveli le 18 juillet 1610. Il a 39 ans. Rien après sa mort, ni tableau, ni dessin, n’est retrouvé de lui, sinon quelques objets dérisoires dans son atelier à Rome.
- Moins de 90 œuvres ont été répertoriées jusqu’à ce jour, 87 seulement pour Mina Gregori.
A la réflexion, cette biographie élémentaire et presque scolaire de Caravage ne m’était que peu de secours. Elle laissant pourtant la place à une activité de dessinateur à certains moments de sa vie. Il me restait à écrire au professeur Giulio Bora. Je lui adressais par internet un dossier complet avec photo du dessin en pièce jointe. Il me répondit par la même voie le 21 septembre 2004 :
« Cher Monsieur Chaigne.
Avant tout, sans aucun doute, je peux vous indiquer que votre dessin n’a rien à faire avec Caravage. Comme je le vois, vous êtes bien informés sur toute la question au sujet de Caravage dessinateur. Dans votre dessin, je ne vois rien des racines lombardes, et puis de sa peinture « ténébreuse ». Ce dessin est rendu avec finesse : je soupçonne qu’il ait pu être traité par un artiste français. Mon hypothèse est-elle trop hasardeuse ? Peut-être, si vous vouliez distraire Pierre Rosenberg de ses activités, lui pourrait en tout cas, que le dessin soit italien ou non, fournir des informations plus sûres que les miennes (forse, se volesse disturbare Pierre Rosenberg, lui potrebbe in ogni caso – sia che il disegno sia italiano o non, fornire informazioni più utile delle mie). Cordialement.
Giulio Bora »
Le verdict de Giulio Bora est-il sans appel ? Pas assez ténébreux ? Pas assez lombard, mon dessin ? Je n’en crois pas mes yeux. Il est vrai que le document envoyé était plutôt pâlot. Bien entendu, sans plus tarder, je m’empresse de « distraire Pierre Rosenberg de ses activités » !
Le 24 novembre, l’homme à la longue écharpe rouge s’en tire par une pirouette :
« Un grand merci pour votre lettre du 16 novembre et pour les très intéressantes observations faites à propos de votre dessin. Ces remarques dues à d’éminents historiens d’art me paraissent résumer assez bien la question et je ne voudrais pas pour ma part les compléter ou les modifier d’une manière ou d’une autre… »
Oui, l’académicien se défausse, mais, quand il s’agit des peintres qu’il a si profondément et avec bonheur étudiés depuis des décennies, il ne dort jamais que d’un œil. « Je m’étais assoupi », déclare-t-il dans la présentation de l’exposition Fragonard de 2007 au Musée Jacquemart-André, un peintre sur lequel il avait tant œuvré et qui m’avait valu une rencontre au Louvre. De cet assoupissement, Pierre Rosenberg se justifie : « A la vérité, pendant plusieurs années pas grand-chose d’essentiel, de révolutionnaire ne vint troubler ma sérénité fragonardienne. »
Qui pourrait faire sortir les experts de leur sérénité caravagesque ? Finalement, « on n’y voit rien », comme disait Daniel Arasse, le jeune historien d’art trop tôt disparu. Moi, certes, je n’y voyais plus rien…
Un expert, c’est un homme ordinaire qui donne son avis quand il n’est pas à la maison.
Oscar Wilde
« J’AVOUE M’ÊTRE TROMPE ! »
J’ai beaucoup aimé les nombreux ouvrages, tous passionnants et d’une grande luminosité, de Federico Zeri, historien de l’art et remarquable pédagogue (1921-1998). Il fallait l’entendre à la télévision transmettre son savoir avec tant de simplicité. Un tout petit livre, l’un de ses derniers, me plut tout particulièrement en raison de son titre assez surprenant J’avoue m’être trompé. Ce ton de modestie et d’humour sur soi-même est rare venant d’une sommité. J’ai beaucoup aimé également, quand j’apprenais la philosophie italienne, le titre d’un ouvrage de Benedetto Croce, théoricien de la création et du langage artistique 1866-1952). Ce titre était simplement Contributo alla critica di me stessa (contribution à la critique de moi-même). Je ne me souviens plus à quel point Croce faisait sa propre critique.
En ce qui me concerne, je tiens à rendre hommage à toutes les personnalités qui ont bien voulu participer à mon enquête. La plupart ont bien voulu me répondre avec gentillesse sans me connaître et n’ont pas trouvé ma démarche ridicule, mais qui, au contraire, m’ont encouragé à la poursuivre.
Certes, on n’en aura jamais fini avec Caravage comme on n’en a jamais fini avec les grands maîtres du passé, Federico Zeri conteste l’idée, dans laquelle on se complait trop souvent, d’un Caravage « génie ombrageux et terrible, transgressif et scandaleux » Il voit en lui « le produit le plus sophistiqué de la Contre-Réforme », répondant ainsi presque servilement aux vœux de ses premiers commanditaires quand il arriva à Rome : le pape Pie V et le Cardinal del Monte…
« Toute histoire est histoire moderne », disait Benedetto Croce ». On n’en a donc pas fini de regarder d’un œil nouveau l’histoire de l’art. Demain, on fera certainement de nouvelles interprétations, comme on fera des découvertes, on se livrera à des changements d’attribution, on établira des révisions (pas systématiquement douloureuses), on discernera mieux ce qui est un original en peinture, ce qui est une réplique et ce qui est une copie.
En ce qui concerne Caravage, Sir Denis Mahon a pu affirmer en 2004, documents à l’appui, l’authenticité contestée de deux tableaux de Caravage, L’arrestation du Christ (National Gallery of Ireland, Dublin) et La vocation de Saint Pierre et de Saint André (Hompton Court, Londres).
Mais comment ne pas convenir que la prudence est de règle en matière d’expertises d’œuvres d’art ? Je connais quelques galéristes qui préfèrent se passer de la sacro-sainte attribution, tout en ayant parfaitement conscience de l’authenticité du tableau ou du dessin qu’ils vont présenter à l’achat (bien sûr, souvent à un prix élevé, car on ne sait jamais). De toute façon, les acquéreurs peuvent se rassurer en pensant à juste titre que ce qui est refusé aujourd’hui peut être admis demain. Si ce n’était vrai, l’histoire de l’art perdrait beaucoup de sa magie. Dans une communication au Sénat, le 7 janvier 1999, deux experts reconnus font part de leur inquiétude sur les aléas de leur métier. L’un, Marc Blondeau, spécialiste d’art moderne et contemporain, voudrait ramener la responsabilité des experts de 30 ans à 10 ans. Le second, Etienne Breton, expert en tableaux anciens, se dédouane carrément, en prétendant que « l’expertise n’était pas une science exacte et que, les spécialistes eux-mêmes étant parfois en désaccord, c’était en dernière analyse le marché qui tranchait » Etrange attitude : autrement dit, en dernier ressort, la parole resterait aux marchands !
C’est ce qui s’est passé récemment au sujet d’un tableau « peut-être peint par Rembrandt », suivant le titre du Monde du 30 octobre 2007 :
« Un tableau estimé à 1500 livres ( 2 140 euros) a finalement été adjugé 2,5 millions de livres (3,5 millions d’euros) lors d’enchères à Cirencester (dans l’ouest de l’Angleterre… Le vendeur anonyme de ce portrait d’un homme riant, exécuté par un disciple de Rembrandt, selon le catalogue de la maison d’enchères Moore, Allen and Innocent, qui avait fait examiner l’œuvre par des experts ; ceux-ci ont jugé qu’il s’agissait d’une copie. Le commissaire-priseur a sollicité l’avis du Rijksmuseum d’Amsterdam, qui y a vu une œuvre du XVIIe siècle exécuté par un contemporain du maître. Lors de la vente, les marchands d’art ont néanmoins afflué et surenchéri. « Quand le prix a dépassé 1 million de livres, la salle était entièrement silencieuse ; quand on a atteint 2 millions, on aurait pu entendre une mouche voler », a déclaré le commissaire-priseur, cité par les quotidiens The Times et The Gardian. » (AFP)
Originaux, copies, répliques, faux… on n’en a jamais fini avec les experts et les expertises. Ce qui est vrai aujourd’hui était peut-être faux hier et redeviendra faux demain. Extrême banalité de ce constat, qui n’épargne pas Caravage.
Début 2006, la ville de Loches sortait de l’ombre deux tableaux que José Frèches, auteur d’un petit livre de vulgarisation sur Caravage, authentifiait comme de la main de Caravage un Souper à Emmaüs et L’incrédulité de saint Thomas, créant une polémique, en dépit de quelques justifications : les deux œuvres avaient été achetées au XVIe siècle par Philippe de Béthune, ambassadeur de France à Rome et ami supposé de Caravage. Sir Denis Mahon, Pierre Rosenberg et Brejon de Lavergnée ne virent dans ces tableaux que de simples copies. Je pense à la fameuse boutade de Mina Gregori, la grande experte italienne : « Tous les deux mois, il y a quelqu’un qui prétend avoir un Caravage chez lui. »
Vais-je donc mettre un point final à mes recherches ? Non, évidemment, tant qu’on n’aura pas trouvé un autre dessin, un dessin dont la filiation à Caravage serait vraiment convaincante et qui pourrait être confronté au mien (mais si, tel en était le cas, mon dessin ne serait plus unique !)
Si également une nouvelle peinture de Caravage sortait de l’ombre, où l’on retrouverait le jeune voyou du dessin,
toute appréciation pourrait changer. Une authentification pourrait peut-être aller à terme.
Faut-il également avoir recours à la radiographie pour déceler tout ce qui est caché sous le dessin ?
Je rappelle qu’on devine effectivement par transparence un profil de visage à la sanguine et d’autres éléments peu distincts à la pierre noire, ainsi que des traits de plume. Mais il est impossible de décider si l’ensemble de ces éléments figurent au verso du dessin annoté Michel Angelo da Caravaggio ou bien sur le papier sur lequel il est collé en plein. Existe-t-il des possibilités d’analyse scientifique ? Séparer les deux feuilles ? Je sais que cela se fait, mais qui voudrait s’y résoudre ? En général, l’une d’elle est détruite…
Et puis, comme le dessin est beau et comme il ne peut être attribué aujourd’hui à personne sinon à Caravage, à quelle main faudra-t-il l’attribuer ? Je n’ai trouvé dans mon immense documentation aucune piste stylistique à explorer, aucun dessin proche du mien, aucun nom convaincant d’artistes…
Je regarde une fois de plus le dessin. Le Professeur Bora a peut-être raison : Caravage a dessiné. Il en est convaincu. Mais mon dessin est-il de lui ? Comment retrouver les traits un peu ingrats, mais trop virils de mon jeune voyou dans les visages si beaux, si gracieux, si émouvants, parfois efféminés et angéliques des jeunes garçons que l’on peut voir dans les peintures de Caravage ? Alors, peut-être faudra-t-il me résoudre à m’approprier le beau titre du livre de Federico Zeri « J’avoue m’être trompé » ?
Dessin autographe ou non du Caravage ? Dessin unique ? Il y a tout lieu d’en douter aujourd’hui. L’unique dessin de Caravage ne serait donc pas de… Caravage !
Dans tous les cas de figure (c’est ici l’opportunité de le dire), ce ne peut être une copie ni une réplique d’un dessin de Caravage, car il faudrait au moins en connaître l’original. Ce n’est pas non plus un « à la manière de », un pastiche, puisqu’on ne sait pas comment Caravage pouvait dessiner. Caravage, à la différence de Guerchin, a au moins échappé au travail sournois d’un falsario qui a inondé de faux Guerchin de nombreux musées du monde !
Plutarque récite un pareil exemple de quelqu’un qui ne vouloit pas estre esclaircie de ce dequoy il estoit en doute pour ne pas perdre le plaisir de chercher.
Montaigne, Apologie de Raymond Sebond.
REVELATION D’UN INACHEVEMENT.
Ma longue quête sur Caravage me laisse sentiment mêlé d’amertume. Pourquoi cet entêtement à vouloir bousculer les idées reçues ? Pourquoi cette fascination pour un jeune voyou sans âge ni racines ? Pourquoi vouloir coûte que coûte lui trouver un « père » ? Pourquoi s’obstiner, avec si peu d’espoir, à trouver une ouverture dans un conflit entre moi et un personnage qui résiste à se laisser découvrir ?
Ces questionnements me renvoient à moi, sans que je puisse en démêler tous les liens. L’une des premières lectrices de mon texte, mon amie, Dominique Reydellet,
psychanalyste aux perceptions très aigues, me l’évoque avec bienveillance et sans ambiguité :
« J’ai été interpellée par votre fascination pour ce charmant visage de petit voyou que vous avez su si bien parer de la richesse de l’énigmatique. J’ai cru à certains moments lire un roman policier qui me tenait véritablement en haleine et j’attendais le dénouement comme si je ne le connaissais pas… Puis les jours ont passé et je pensais toujours à cette belle histoire, à ce visage, à votre lien de fascination avec lui, et j’ai pensé à notre ami Freud. Quelque part dans votre récit, vous faites allusion à la netteté de ce visage qui s’imposait à vous de façon récurrente et ceci m’a fait penser très directement à un article de Freud sur le mécanisme psychique de l’oubli… Freud y fait « in vivo » si l’on peut dire, un morceau d’auto-analyse à partir de l’oubli du nom du peintre Signorelli… Freud en tire l’idée que la netteté et la brillance d’un élément est le signe du refoulé, découverte fondamentale.
Découverte fondamentale ? Alors que mon enquête piétinait, il me fallait la placer sous un autre registre.
C’est pourquoi je m’adressais, non plus à un éminent historien de l’art, mais à une star de la psychanalyse. Je choisis évidemment celui pour lequel je me sentais le plus d’affinités sur le plan d’une certaine décontraction dans la vision des choses. J’écrivis ainsi à J.-B. Pontalis pour lui soumettre mon cas. Je le voyais depuis toujours, peut-être à tort, comme un électron libre dans son métier, n’ayant pas trop l’air de s’encombrer des idées reçues, des théories et autres dogmes faisant autorité. Créateur de la fameuse et regrettée Nouvelle Revue de Psychanalyse, auteur avec Jean Laplanche du classique Vocabulaire de la Psychanalyse et de tant de livres remarqués, depuis Après Freud en 1968 jusqu’à Frère d u précédent en 2006.
J.-B. Pontalis se montra très attentif à mon projet, derrière son divan forcément virtuel des Editions Gallimard. A mon envoi du 5 juin, il me répondit le 19, c’est dire à quel point mon sujet, à défaut d’autres choses, l’avait intrigué et avait suscité son intérêt.
Cher Monsieur,
J’ai lu sans tarder le manuscrit que vous avez bien voulu m’adresser L’unique dessin de Caravage et je ne vous cache pas que sa lecture m’a laissé sur ma faim. Cela à un double titre.
1. Votre enquête n’aboutit pas, alors qu’une enquête policière le plus souvent résout l’énigme. J’ajoute – mais là, c’est le profane qui s’exprime -que l’enjeu ne me paraît pas d’une importance capitale : que le dessin en question soit en fin de compte attribué à Caravage (hypothèse non probable) ou qu’il ne le soit pas, j’avoue que ce n’est pas à mes yeux quelque chose d’essentiel.
2 . Le lecteur se demande tout au long : mais d’où vient donc cette obstination, cette passion qui vous occupe depuis tant d’années ? A cette interrogation vous répondez, si je puis dire, par une pirouette en citant, in fine, Freud et le « signe du refoulé ». Soit, mais encore ?
Voilà, je vous dis mon sentiment sans détours en espérant que vous ne m’en voudrez pas et en vous adressant mon bien cordial souvenir.
J.-B. Pontalis
Un roman policier dont on attend en vain le dénouement, y a-t-il plus frustrant en effet ? Comment ne pas être conscient de la déception du lecteur, fut-il J.-B. Pontalis, à l’issue de mon travail. Rien n’est élucidé. Pour une fois, Hercule Poirot a peut-être déjà déclaré forfait !
Mais roman policier, mon texte ? Bien évidemment, non. Enquête, oui, qui n’a pas encore trouvé de conclusion (ce qui, entre nous, est plus que jamais le propre du maximum d’enquêtes).
Que mon dessin soit de la main de Caravage ou non, cela n’a pas d’importance uniquement pour moi seul . Ce qui fait débat aujourd’hui, c’est de savoir si, à l’opposé de la plupart des artistes du Seicento, Caravage dessinait. Un point c’est tout. Mon dessin n’est donc qu’un prétexte.
J’avais envie d’écrire pré-texte, comme si j’étais lacanien.
Il a un second objectif, celui de montrer la difficulté des attributions, contre laquelle la détermination et l’obstination des chercheurs sont souvent mises à rudes épreuves. Comment échapper aux contestations et révisions douloureuses ?
Mais parfois, la révélation se produit et illumine. Dès lors elle semble spontanée. Ella apparaît divine comme dans la Bible ou le Coran. Mais il ne faut pas s’y tromper, conclut Roseline Bacou dans un hommage à Philip Pouncey, l’un des experts les plus inspirés du 20e siècle en dessins italiens (1910-1990). Elle écrit dans le catalogue du Louvre L’œil du connaisseur qui est dédié à cet éminent historien de l’art :
L’aisance du spécialiste à déterminer ce qui est « possible » ou « impossible » pour tel dessinateur peut créer l’illusion d’une opération facile, quasi automatique. Elle est en fait le fruit patient de l’expérience et d’une longue familiarité avec cet artiste aux différents moments de sa carrière. Encore faut-il y ajouter un don inné qui n’est pas également réparti, l’intuition géniale que notre ami Philip Pouncey possédait au plus haut degré.
Je restais dans l’expectative. J’avais le sentiment que la psychanalyse, au même titre que l’histoire de l’art, n’avait pas dit son dernier mot. Dans un ultime recours, je m’adressai à André Green dont j’avais lu avec intérêt Révélation de l’Inachèvement à propos du Carton de Londres de Leonard de Vinci et, plus récemment, les Associations (presque libres) d’un psychanalyste Je me référai notamment à l’hypothèse d’un Caravage détruisant systématiquement ses dessins pour laisser penser qu’il était au-dessus des ouvrages subalternes et que toute étude préparatoire eut jeté de l’ombre sur son image de génie créateur. Il s’imposait ainsi autrement génial qu’un Raphaël, un Michel-Ange ou un Leonard de Vinci dont les corpus de dessins qui nous sont parvenus sont si riches, si éblouissants, parfois même plus beaux que les peintures qui leur sont issus. Dans ma lettre à André Green, je retrouve ces lignes : « Je trouve cette hypothèse d’auto-destruction assez convaincante. Comment définir une telle imposture ? L’orgueil ou la vanité ne me semblent pas des justifications suffisantes. C’est peut-être ici que la psychanalyse peut m’être d’un réel secours. Ne détruit-on pas pour effacer ? Pour ne pas laisser de trace ? Pour nier ce qui a été ? Pour nier ce qui est ?… »`
André Green me répondit très vite par mail : « Je suis dans l’incapacité de vous aider. Bien que grand admirateur du Caravage, je n’ai pas une connaissance suffisante de son œuvre pour répondre à vos questions, et je n’ai guère l’ habitude d’improviser des réponses alors que je me sens incompétent. »
Incompétence d’André Green ? Cette pensée fait sourire.
Je n’en crois rien, même si, comme il le dit, il ne connaît que fragmentairement l’œuvre du Caravage. Ce n’est pas sur le plan historique que je l’attendais, mais sur celui de sa propre discipline. Chaque humain « avance masqué » suivant la formule de Descartes le plus souvent attribuée à Nietszche. Est-ce qu’un psychanalyste n’est pas là pour faire se lever nos masques ? Pour que chaque être se libère tant soit peu de ses carcans, de ses miasmes, du glauque de son existence, de tout un univers inexploré, enfoui au plus profond depuis l’enfance ? Au fait, que sait-on de l’enfance de Caravage, sinon qu’il perd son père quand il a 6 ans, qu’il est à l’école primaire de Caravaggio jusqu’à l’âge de 13 qu’il est en apprentissage de 13 à 18 ans à Milan dans l’atelier d’un peintre de faible renommée, puis qu’il est retour à Caravaggio justement quand il a 18 ans, l’année même de la mort de sa mère ?
La question qui se pose alors, mais à laquelle je me sens incapable de répondre : est-il possible de relever dans les peintures de Caravage des réminiscences de son enfance, peut-être à travers des représentations paternelles et surtout maternelles ?
Au moment où j’achevais ce texte, j’avais un sentiment qui me serrait le cœur, celui d’un échec ou tout au moins, ce qui laissait une ultime ouverture, celui d’un inachèvement, pour reprendre le terme d’André Green. C’est pourquoi je m’approprie le titre de l’essai qu’il a écrit au sujet du carton de Londres de Leonard de Vinci.
Je me suis dit qu’il manquait encore une pièce essentielle et peut-être décisive à mon dossier. Il me manquait le témoignage de mon initiateur en histoire de l’art, Sir Denis Mahon. Ce grand spécialiste du Seicento italien a aujourd’hui 97 ans. J’avais donc quelques scrupules à solliciter son avis. Comme on l’a vu, j’avais été en relation avec lui à plusieurs reprises, soit pour authentifier des dessins du Guerchin, soit pour en retirer la paternité, ce qui est arrivé pour un paysage qui, selon lui, était manifestement l’oeuvre du fameux falsario du Guerchin.
En une vingtaine d’années, j’avais donc eu plusieurs contacts écrits avec lui, mais n’avais jamais eu l’opportunité de le rencontrer. Ayant avant l’été, par des voies détournées, réussi à obtenir son numéro de téléphone privé, je missionnais ma femme, en raison de sa maîtrise de l’anglais, à essayer de savoir si Sir Denis Mahon était à Londres et s’il lui était possible de lui envoyer le résultat de mes recherches au sujet de Caravage. J’étais persuadé que ma femme tomberait sur un secrétaire, un majordome ou une dame de compagnie. Mais c’est lui-même qui était au bout du fil, d’une grande gentillesse et cordialité. Ma femme m’a retransmis et traduit son message : « Madame, au moment où le téléphone sonnait, une voiture m’attendait en bas. Je m’absente pour une dizaine de jours en Ecosse, mais que votre mari m’écrive. A mon retour, je lui répondrai avec grand plaisir. »
Hélas, mon envoi est resté toujours sans réponse. Je me suis posé la question si c’était mon travail qui était en cause ou bien d’autres difficultés liées à sa vie. Je ne pense pas qu’il se serait abstenu de me parler franchement au sujet de mes hypothèses, d’autant plus qu’elles étaient étayées par le témoignages dignes de confiance, émanant de professeurs d’universités ou de conservateurs de musées. Je ne redoutais pas son verdict, alors que j’étais toujours dans le domaine des hypothèses. Je souhaitais même, d’une certaine façon, au stade où j’en étais, d’apprendre que je faisais fausse route, que, n’étant pas vraiment dans le sérail, je devais laisser la place aux grands spécialistes du Caravage…
Le franc-parler de Sir Denis était bien connu. On a vu comment il pouvait être publiquement véhément vis-à-vis des travaux de son aîné Sir Anthony Blunt, alors « passage obligé » pour toute personne s’interessant tant que soit peu à la vie et à l’œuvre de Nicolas Poussin. C’est ainsi qu’au sujet de la grande exposition de Poussin au Louvre en 1960, dont Anthony Blunt avait été la cheville ouvrière, Denis Mahon décréta : « Je suis allé à l’exposition dans l’espoir que grâce à elle la personnalité artistique de Poussin deviendrait plus claire. Au lieu de quoi je trouvai le chaos. Je me me suis rendu compte que Blunt n’avait pas l’œil. »
N’avoir pas l’œil n’est ce pas la pire des choses qui puisse survenir à un historien de l’art ?
La suite peut-être aux calendres grecques !
Le rêve de tout auteur de romans policiers,c’est de découvrir une intrigue inédite, n’ayant encore jamais été exploitée par personne. Tous ont essayé,et la plupart s’y sont cassé les dents…
COMPLEMENT D’ENQUÊTE.
Je viens de découvrir et d’acquérir par internet un dessin qui représente sans nul doute Holopherne, le mythique général assyrien décapité par Judith, qui s’était introduite sous sa tente pour sauver sa ville assiégée.
Le dessin associant plusieurs techniques, ses caractéristiques sont difficiles à établir avec précision. Le vendeur présentait le personnage à la verticale, ce qui déroutait quelque peu de voir cette tête détachée restant suspendue en l’air comme un pantin aussi abominable que ridicule. Mais si on en basculait le dessin à l’horizontale, plus aucun doute ne subsistait. C’était bien, traits pour traits, la tête de l’Holopherne du tableau de Michelangelo da Caravaggio, le fameux Judith et Holopherne. Un tableau précoce dans le corpus du peintre, suivant Roberto Longhi et la plupart des historiens d’art. Denis Mahon le date de 1597 (Caravage est déjà depuis cinq années à Rome et n’a que vingt-sept ans). Un tableau peut-être contemporain du Garçon mordu par un lézard et antérieur aux grandes scènes religieuses.
Scène d’horreur, on voit la bouche d’Holopherne s’ouvrir pour un ultime et impossible cri. On voit le sang jaillir du cou dans un faisceau de jets que rien ne semblerait pouvoir arrêter. On voit seulement l’effet du cimeterre de Judith, mais on ne voit ni ce cimeterre ni le bras qui le tient, ni bien sûr le front crispé d’une Judith qui se tient à distance, dans la répulsion de l’acte qu’elle vient de commettre. On voit le profil et l’œil attentif d’une servante proche des têtes caricaturées par Leonard de Vinci. Le Professeur Giulio Bora voudra-t-il reconnaître ici la « peinture ténébreuse » si caractéristique de Caravage, et peut-être les « racines lombardes » de son œuvre ? De tels indices ne devraient pas passer inaperçus…
En réalité, au lieu de résoudre mon problème, ce dessin complique tout : est-il autographe ? Est-il vraiment de la main de Caravage ou d’un suiveur ? A-t-il été réalisé d’après le tableau ou lui est-il antérieur ? De quand
date-t-il ? Est-ce un second dessin de Caravage, le premier n’étant donc plus unique ? Ou bien est-ce finalement le seul et unique dessin de Caravage, le premier en ayant perdu le statut ?
Dans son ouvrage sur Caravage, Catherine Puglisi a remarqué, grâce au réflectogramme du tableau Judith et Holopherne, que l’esquisse sous-jacente de la tête d’Holopherne laissait apparaître un repentir accentué : « Dans un premier temps, écrit-elle, Caravage positionna les yeux, le nez et la bouche de quelques coups de pinceau sommaires, mais dans la version définitive, il décala la tête légèrement vers la droite, sans doute dans un souci de vraisemblance. C’est précisément ce déplacement qui rend si visible l’esquisse sous-jacente. »
Mais que faut-il en conclure ? Cela remet-il en cause ce qu’écrivait si longuement Catherine Puglisi dans le même ouvrage ? Sa conviction que « bien que rétif aux compositions sur papier, Caravage reçut probablement une formation en dessin. » Elle ajoutait : « On sait du reste qu’à trois reprises au moins – pour la chapelle Cerasi, la commande perdue de De Sartis et la Mort de la Vierge – il accepta de réaliser des études préparatoires. »
Dans tous les cas, ce dessin de la tête d’Holopherne peut-il être considéré comme la pièce maîtresse que tous les spécialistes de Caravage attendaient ? Le dessin susceptible de conduire à des révisions d’appréciation décisives ? Le dessin qui va abolir beaucoup d’idées reçues ? De convictions acquises et récurrentes ? Le dessin, enfin, qui va faire référence sur « la manière de dessiner » de Caravage et peut-être amener à de nouvelles découvertes ? Mais est-ce que je peux penser sérieusement, raisonnablement, tranquillement qu’il s’agit là d’un ou de deux dessins authentiques de Michelangelo da Caravaggio ? Est-ce que je peux espérer rendre crédible toute cette aventure ?
Finalement je reste dans le doute et je m’en console comme je peux, adoptant le propos de Montaigne sur les bienfaits de l’incertitude. Alors que je voulais faire authentifier un autre dessin de ma collection, un ami m’a dit un jour qu’il était souvent avantageux, pour son confort personnel, de demeurer dans le doute, de laisser la part belle au rêve, de penser qu’on possède une œuvre autographe d’un des plus grands maîtres. Ce dessin, de toute façon inspiré de Caravage, n’est peut-être vraiment que très tardif. Du 18e siècle ou même du 19e siècle, par exemple… Mais comment expliquer qu’il ne s’agit, comme dans une étude, que d’un détail du tableau de Caravage Judith et Holopherne, occultant cimeterre et bras de Judith, et non pas de l’ensemble du tableau? Comment justifier des différences aussi flagrantes ? Comment expliquer qu’il ne s’agit pas d’une copie conforme ? Quel dissimulateur pourrait se cacher derrière ce dessin ? Quel faussaire même ? Sir Denis Mahon en sait quelque chose, avec Guercino suscitant un véritable imitateur de dessins qui inonda impunément les plus grands musées du monde de ses productions, toutes considérées comme autographes. Le mot « faussaire », sans doute justifié, a même été ici utilisé dans un ouvrage de l’historien italien Prisco Bagni : Il Guercino e il suo falsario (I designi di figura et I designi di Paesaggio).
Bref, ce dessin doit-il rester plus longtemps une énigme de plus. Après tout, beaucoup d’enquêtes policières restent à jamais non résolues, comme l’affaire de Jack l’Eventreur qui fait toujours couler beaucoup d’encre. Mais j’ai plutôt le sentiment que l’enquête vient seulement de commencer,
Quel dommage pour J.-B. Pontalis, si jamais cette enquête finissait par abolir ses doutes ou son indifférence, si elle arrivait à découvrir des dessins authentiques de Michel Angelo da Caravaggio. Heureux Hercule Poirot.
Où est le nœud de l’énigme ? Où sont les coupables ?
Ceux qui ont fait disparaître tous les indices, toutes les pièces à conviction ? Mais enfin, que reste-t-il des nombreux portraits de tête (3 par jour, paraît-il) que Caravage, pour subvenir à ses besoins, aurait exécutés à son arrivée à Rome, fin 1592/début 1593 ? Dessins de jeunes garçons que l’on retrouvera plus tard dans ses peintures comme Le jeune garçon pelant un fruit par exemple ? Que sont devenus les problématiques dessins de Caravage de la collection Dezallier d’Argenville ?
De guerre lasse, après tant d’années écoulées, comment ne pas chercher une ultime voie ? C’est pourquoi j’ai recours au web en créant un blog, même si mon message ressemble à une bouteille à la mer, ballottée dans des ondes improbables, dans des flots échappant à tout contrôle.
Je souhaite malgré tout que cet appel me permette d’aller plus en avant. Pourquoi devrais-je baisser les bras après tant d’années de recherches ? Merci aux internautes aussi passionnés par l’histoire de l’art que je le suis de m’apporter leur concours. Il leur suffit de cliquer :
CARAVAGE NOIRS DESSEINS
Illustration :
HOLOPHERNE, pierre noire, pinceau, lavis brun et ocre-rouge, blanc de céruse, quelques incisions croisées à hauteur du cou à gauche. H. 237 mm ; L. 296 mm. L’ensemble sur papier préparé. Au verso, fragments de cire à cacheter et quelques inscriptions grattées désormais peu lisibles.
Quelques publications ou travaux :
- Ulisse (sic), nouvelle, La Revue du Rouergue, N°1, janvier-mars 1956.
- L’inspiration cathare chez Simone Weil, diplôme d’études spérieures de philosophie, Sorbonne 1957.
- Petite Calliope, La Nouvelle Revue Française, N°65, 1er mai 1958.
- Marguerite, nouvelle, La Revue du Rouergue, N°53, janvier-mars 1960.
- Reliquaire, numéro spécial Jean Guitton, Revue des anciens du « 104 rue Vaugirard », 1963.
- Un peintre à Pornic, Raoul du Gardier, Bulletin de la Société d’Etudes et de Recherches Historiques du Pays de Retz, N°16, 1996.
- L’ombre du philosophe, dans l’intimité de Jean-Guitton.
- La fureur divine, dans La Singulière mélancolie (à propos de Melencolia I de Dürer), Libres Cahiers pour la Psychanalyse, N°3, Printemps 2001.
- Frère Louis au cœur d’or, Le Point Riche, Association Les Amis de Louis Mazetier (peintre et maître-verrier), N°2, 2004.
A PROPOS DU BLOG
« CARAVAGE NOIRS DESSEINS »
Plus j’y repense, plus j’ai l’impression de tourner en rond. Certes, j’ai recueilli des indices. Le plus convaincant est celui qui conclut à l’auto-destruction par Caravage de tout ce qui pourrait laisser croire à l’existence de dessins de sa main.
Je vois que Dominique Fernandez a bien situé mon dessein. Qu’est-ce qui conduit un artiste, qu’il soit peintre, écrivain ou musicien, à détruire les ébauches de sa production ?
Mais en ce qui concerne Caravage, le problème est d’abord plus complexe. Avant de se demander s’il détruisait ses dessins, il faut savoir tout simplement s’il dessinait. Et cela n’est pas clairement établi. Le débat, déjà ancien, a agité, on l’a vu, le monde des historiens de l’art : cela me fait penser aux disputes du XVIe et XVIIe siècles, à ces polémiques sans vainqueur ni vaincu. La plupart de ces érudits sont partis d’un postulat : Caravage ne dessinait pas. Un point, c’est tout. Tout simplement sans doute parce qu’on ne trouvait trace d’aucun dessin autographe. Ce qui réglait le problème. Mais est-il possible que Caravage n’ait jamais manié la sanguine, la pierre noire ou la pointe d’argent comme la plupart de ses grands aînés et contemporains ? Est-il raisonnable de penser qu’il ait négligé les études préparatoires à ses peintures ?
Tout finalement évolue à grands pas. J’ai découvert avec intérêt et plaisir les recherches récentes de Debora Bincioletto, sur La technique d’exécution de Caravaggio dans la période romaine. Elle conforte mon propos : « Il est impossible, écrit-elle, que Caravage, élève de Simon Peterzano, grand dessinateur, n’est pas exécuté de dessins ou de croquis qui sont normalement requis par les commanditaires. C’est le cas du contrat signé en 1600 avec Tiberio Cesari pour les peintures de Santa Maria del Populo : il avait été expressément spécifié que Caravage présentât au préalable « les esquisses préparatoires des deux tableaux ». On a la preuve que ce qui fut demandé fut rigoureusement executé : les esquisses furent réalisées et fidèlement exécutées. Par ailleurs, Debora Bincioletto fait référence à un biographe contemporain de Caravage, Karel van Mander, qui décrit Caravage comme un peintre de la vérité qui pouvaient se passer des cartons préliminaires. Mais il est ajouté que Karel van Mander avait eu en mains « des dessins attribués à Caravage ». Il est noté que la Galerie des Offices à Florence possède un croquis attribué à Caravage. Mais, tout en admettant explicitement l’existence de ces dessins, Debora Biacolletto n’exclut pas chez Caravage d’autres techniques préparatoires, comme le recours à des feuilles transparentes permettant le transfert des images sur la toile, ni le procédé des incisions directes fixant les orientations de la composition. Mais, dans ces deux cas, papier ou pas papier, ou incisions, ne s’agit-il pas toujours de dessins ? Ou mieux : de desseins ?
Ce livre a donc tenté, sans totalement y parvenir, d’apporter des éléments de réponse. Je me sens incapable d’aller plus loin tout seul. Je fais donc appel ici à toutes les personnes qui posséderaient des informations sur l’existence de dessins susceptibles d’être de la main du grand peintre italien Michelangelio Merisi (1571-1610), plus connu sous le nom de Caravage (Caravaggio, en italien). C’est pourquoi j’ai mis mon travail dans un blog.
J’ai imaginé, dans le domaine de l’histoire de l’art, une formule directement inspirée des enquêtes télévisées du type « Avis de recherche » ou « Perdu de vue ». Premier point d’application : Caravage dessinateur.
Je résume : la plupart des peintres ont réalisé des études préparatoires sous la forme de dessins sur papier, avant de prendre leurs pinceaux. Caravage, on ne sait pas. Mais est-il vraiment pensable que Caravage ait complètement occulté une étape qui ait paru si nécessaire à ses prédécesseurs parmi les plus grands comme Raphaël, Léonard de Vinci et Michel-Ange ? La question est simple : Caravage a-t-il dessiné, oui ou non ? Plus compliquée la réponse. De nos jours, personne ne peut affirmer l’authenticité d’un seul dessin de Caravage, du moindre petit croquis, à la sanguine ou à la pierre noire, alors qu’au XVIIIe siècle, par exemple, le grand collectionneur Dezallier d’Argenville prétendait avoir possédé des dessins de lui. S’il en est ainsi, où sont passés ces dessins ?
Ce problème peut paraître marginal. On peut penser : à quoi bon, comme me le souffle J. B. Pontalis avec gentillesse mais non sans commisération ? En réalité, la question est plus importante qu’on ne pourrait le penser, car il soulève le problème de la dissimulation, autrement dit des « noirs desseins » et peut éclairer d’un jour nouveau, non seulement la technique d’un peintre de génie, mais aussi des pans cachés, si nombreux, de sa vie ténébreuse .
Dans mon souci d’authenticité vis-à-vis de Caravage, chacun peu m’en rendre justice, j’ai tenu à m’appuyer sur les témoignages directs de personnalités reconnues en histoire de l’art, mais aussi dans la littérature et la psychanalyse.
Qu’ils en soient tous vivement remerciés.
PRINCIPALES SOURCES.
Arasse, Daniel, Le sujet dans le tableau, Essai d’’iconographie analytique, Denoël, 2000.
Arasse, Daniel, On, n’y voit rien, Descriptions, Flammarion,
1997.
Bacou, Roseline, Hommage à Philip Pouncey, in L’œil du connaisseur, Réunion des Musées Nationaux, 1992.
Bagni, Prisco, Il Guercino e il suo falsario. I disegni di Paesaggio, Bologne, 1985.
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Diverses correspondances avec :
Lise Bicart See, Giulio Bora, Silvia Daneso Squarzina,
André Green, Sir Denis Mahon, J.-B. Pontalis, Catherine Puglisi, Dominique Reydellet,Pierre Rosenberg,
Françoise Viatte et The Caravaggio Research Commitee.